« Constitutions en Afrique : à qui profitent les révisions ? Aujourd'hui, dans beaucoup de pays africains, l’alternance au pouvoir est devenue presqu’impossible : les pouvoirs en place modifient les dispositions de la Constitution limitant les mandats afin de permettre des candidatures à vie de leur chef. Après le Tchad, le Bénin … Cette question soulève de débats. En sera-t-il de même pour la RD Congo dont la Constitution ne prévoit qu’un mandat de cinq ans une fois renouvelable ? « Pour préserver les principes démocratiques contenus dans la présente Constitution contre les aléas de la vie politique et les révisions intempestives, les dispositions relatives à la forme républicaine de l’Etat, au principe du suffrage universel, à la forme représentative du gouvernement, au nombre et à la durée des mandats du Président de la République, à l’indépendance du pouvoir judiciaire, au pluralisme politique et syndical ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle »

L’INFLATION REVISIONNISTE LES PEUPLES SONT : Avant Idriss Deby, on note que les présidents Ould Taya (Mauritanie), Ben Ali (Tunisie), Lansana Conté (Guinée), Omar Bongo (Gabon), ou encore Gnassingbé Eyadéma (Togo) ont profité d’une telle révision constitutionnelle leur permettant de se faire réélire. Il est normal de reformuler les lois qui régissent le peuple. La Constitution française de 1789 ne postulait-elle pas que «la nation a le droit imprescriptible de changer sa Constitution » ? En se basant sur ce pouvoir de révision, selon les circonstances et les intérêts de toutes sortes, les pouvoirs africains ont, à souhait, procédé à des modifications constitutionnelles, de sorte que les Constitutions africaines ont été atteintes d’une inflation révisionniste. Cela est souvent justifié par la recherche constante d’institutions adaptées aux besoins et au niveau de développement tant économique, social que culturel. La deuxième tendance, positive, se démarque par le jeu d’abandon du pouvoir après l’exercice de deux mandats consécutifs, respectant l’esprit et la lettre de la Constitution. C’est le cas des présidents Konaré du Mali et Rawlings du Ghana. Généralement, la révision tourne autour du statut du chef de l’État, de la dévolution, de l’alternance politique ; plus exactement elle porte sur la prolongation ou non du mandat présidentiel. A ce niveau, deux tendances apparaissent : la première, négative, se situe dans la trajectoire du renouvellement ou de l’allongement du mandat arrivé à terme au bout de deux mandats successifs ; la rééligibilité ne se faisant qu’une seule fois. C’est le cas des présidents Lansana Conté de la Guinée, Eyadéma du Togo... Cette disposition ressort de l’exposé des motifs de la Constitution de la 3ème République promulguée le 18 février 2006 par le président Joseph Kabila Kabange. Elle est aussi reprise dans l’article 220. En effet, depuis le début des années quatre vingt dix (1990), l’Afrique subsaharienne est en train de connaître un profond renouvellement du dispositif juridique, s’orientant vers une transition démocratique effective où le chef de l’État n’est plus au centre de tout, se confondant avec le système politique lui-même. Cette disposition constitue une sorte de garde-fou contre la soif démesurée et à répétition des révisions « abusives » de la Constitution. Surtout lorsque l’on sait pertinemment bien que le constitutionnalisme africain n’a jamais cessé d’être en chantier. Si rien n’interdit à ce que le législateur modifie, complète ou abroge les dispositions législatives antérieures, le droit de l’Etat, cependant, doit se concilier avec l’Etat de droit. En principe, la souveraineté du peuple ne peut être entamée que par le peuple lui-même. Ce que le peuple a fait, il lui appartient, à lui seul, de le défaire, en retour. Norme suprême et lieu de fondement du pouvoir légitime dans l’État, n’étant pas immuable, la Constitution, de forme souple ou rigide, est fréquemment révisée par les États. « Cette révision revêt une dimension importante dans l’évolution du constitutionnalisme africain, non seulement parce qu’elle constitue un élément moteur mais et ; surtout, parce qu’elle démontre certaines conceptions du pouvoir politique dans le continent tout entier », comme l’écrit l’enseignant-chercheur tchadien Adja Djounfoune. Quant à la nouvelle Constitution de la République démocratique du Congo (RDC), la révision est aussi prévue. Au plan du droit, rien ne s’y oppose. A cet effet, l’article 223 de la Constitution stipule que l’initiative de la révision appartient concurremment au Président de la République, après décision prise en Conseil des ministres et aux membres du Parlement. DROIT DE L’ETAT OU ETAT DE DROIT ? Deux procédés de modification sont possibles: la révision par voie référendaire et celle effectuée par le Parlement en exercice. Cette dernière formule est souvent préférée. La raison en est simple : la majorité présidentielle coïncidant avec la majorité parlementaire, le tour est vite joué. Au Tchad, par exemple, l’article 61 de la Constitution actuelle stipule clairement que le Président de la République est élu pour un mandat de cinq (5) ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une fois. Peut-on présumer que demain, à la fin du 2ème mandat, l’article 61 puisse être modifié dans le sens d’allonger le mandat présidentiel arrivé à terme ? Les bouleversements politiques dans beaucoup d’Etats africains sont déjà des signes révélateurs de difficultés que les dirigeants africains éprouvent à trouver une solution satisfaisante à la problématique de la gouvernance. La révision constitutionnelle peut représenter un danger pour le processus et la consolidation de la démocratie. Elle est aujourd’hui un des enjeux de la lutte pour le pouvoir : chacun veut modifier la Constitution pour s’assurer un avantage décisif dans l’accession ou le maintien aux commandes de l’Etat. Ce qui affecte inéluctablement le principe de l’alternance politique ou présidentielle.

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