« Rdc : des nouvelles provinces de la République Démocratique du Congo : construction territoriale et ethnicités . Pour qui aborde le thème de l’État en Afrique, le cas de la République Démocratique du Congo 1ne peut guère être éludé, du fait de l’importance du pays, des déchirements qu’il a connus, de la reconstruction politique qu’il entreprend. Car en 2006, après neuf ans de guerre civile, d’invasions étrangères, d’exodes, de massacres, de pillages, le président Joseph Kabila (sucesseur de son père, assassiné en 2001) a promulgué la Constitution de laTroisièmeRépublique. Ce texte instaure un « État unitaire fortement décentralisé », avec 26 provinces autonomes ; et un système démocratique, avec un président et des représentants librement élus aux niveaux national, provincial et local, ce qui ne s’était plus vu ici depuis quarante ans. Vu de plus près, ce document, issu des longues tractations menées dans le cadre de la « transition » et de la « réconciliation nationale »

" Au début, l’Etat léopoldien répartit son domaine endistrictsassez flous (11 en 1888, 15 en 1895). Ensuite, avec l’instauration du système colonial véritable, l’encadrement de l’espace et des hommes se renforce peu à peu, notamment afin de geler l’ancienne mobilité des groupes ethniques en les territorialisant. Dès 1914, le Congo Belge est restructuré en 4 grandesprovinces, le Congo-Kasaï, l’Equateur, la Province Orientale et le Katanga. S’y articulent les 22 districts existants,divisés enterritoires, eux-mêmes subdivisés ensecteurs. Ces derniers englobent la multitude deschefferies, agglutinées pour les plus petites. Le tableau change au XIXèmesiècle, lorsque se resserre l’étau des ingérences venues d’outre-mer : le futur Congo se trouve partagéde factoentre deuxmouvances, luso-africaineà l’ouest,orientée vers les Amériques,arabo-swahilie à l’est, tournée vers le Proche-Orient. L’ébranlement des vieux royaumes laisse alors le champ libre à des pouvoirs inédits,fondés sur la traite des esclaves : Ngongo-Lutete au Kasaï, Tippo-Tip au Maniema, Msiri au Katanga. C’est cet espace en réorganisation qui va être, pour la première fois, unifié politiquement dans le cadre de l’État indépendant du Congo, en fait la propriété personnelle du roi des Belges Léopold II. Après la période léopoldienne, relativement courte (1885-1908), celle de la colonisation belge effective (1908-1960) sera décisive pour la mise en place d’un schéma fonctionnel encore lisible de nos jours. Le modèle reste périphérique et extraverti, opposant à lacuvette centraledéprimée une sorte d’anneau utileoù se déploie pleinement la « mise en valeur » coloniale. Mais l’intégration de l’espace congolais, assurée par la création progressive d’un puissant réseau circulatoire, le sera aussi par un maillage territorial de plus en plus serré, coercitif et efficace (Bruneau, 1991). Notre propos est d’interroger le réagencement territorial annoncé, qui tente de faire la part du feu en proposant une réponse juridique à la crise de l’unité nationale (Melmoth, 2007). Les implications géopolitiques sont aussi externes : la RDC, avec ses 2 345 000 km2, et au moins 64 millions d’habitants aujourd’hui 2, constitue par sa taille,son potentiel naturel et humain, sa situation, un élément stratégique majeur. Mais ces atouts suscitent bien des convoitises : naguère enjeu important de l’affrontement Est-Ouest, dépecé hier par ses voisins et leurs séides locaux, revenu à une paix bien précaire, le Congo a pu être décrit par certains comme un espace bien trop vaste et divers, ingouvernable, « nécessairement » voué à quelque forme d’éclatement institutionnel. Et de fait, tout au long des conflits récents,c’est une situation d’autonomie (et d’autofinancement) de factoqui s’était installée dans les zones tenues par les diverses milices (dans l’Ituri et au Kivu notamment). La Constitution de 2006 permettra-elle ou non d’encadrer ces tendances centrifuges, et de reconstruire l’unité du pays ? Le Congo et ses territoires : plus d’un siècle de recompositions. En tout état de cause, le redécoupage administratif instauré n’a rien d’une première, puisque la scissiparité territoriale fut un processus récurrent tout au long des 125 années d’existence politique du Congo. Pour éclairer la situation présente,on a choisi de questionner ce passé, avant de proposer comme un des éléments du débat une grille d’analyse fondée sur l’architecture ethnorégionale du pays. Amorcée dans l’espace congolais dès l’aube de l’humanité, l’emprise humaine s’y est renforcée avec l’expansion des peuples bantous, il y a plus de deux mille ans. Bien plus tard, au XVèmesiècle,l’Afrique centrale s’ordonnait selon une partition de type écologique. Dans la forêt dense de la cuvette,les sociétés rurales bantoues restaient disséminées et segmentaires, en relation de clientèle avec les chasseurs-cueilleurs pygmées. Dans les forêts claires et savanes du pourtour,elles se structuraient en royaumes plus ou moins vastes : au sud ceux des Kongo,des Yaka, des Luba,ou l’empire Lunda ; à l’est les royaumes des Grands Lacs, tel le Rwanda ; au nord,les royaumes (non bantous) des Zande et des Mangbetu. chefs de guerre rivaux reconvertis en hauts responsables du pays ; foule des partis politiques d’idéologie aussi floue que leur base est clairement ethnorégionale ; Églises chrétiennes ; société civile enfin, surtout citadine et qu’appuient les fortes diasporas d’Europe et d’Amérique du Nord. Une impression de « déjà vu » s’impose au niveau des symboles de l’État, qu’il s’agisse du nom et de l’hymne, hérités de laPremière République(donc du lumumbisme),ou des armoiries, de la devise et même du drapeau, empruntés à laSeconde République (donc au mobutisme). L’organisation du pouvoir est presque la copie conforme de celle de 1960 : le choix n’est clair ni entre régime présidentiel et régime d’Assemblée, ni entre État centralisé et fédéralisme double ambiguïté qui fit déjà imploser le pays en quelques mois,après l’indépendance. "

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