Bassin du Nil : Éclaircie sur les rives du plus long fleuve du monde ? En tout cas les ministres des ressources hydriques des pays du bassin du Nil ont en principe rendez-vous à la mi-décembre pour relancer le dialogue sur le partage de ses eaux. La révolution politique en Égypte changera-t-elle la donne de ses rapports jusque-là tendus avec les pays d’amont ? Cela fait des siècles que les eaux du Nil sont objet de disputes et que l’Égypte, ultime bénéficiaire, s’est toujours comportée comme si elle en était le seul et unique propriétaire. Il n’est guère difficile d’en avancer l’explication : les pluies y tombent en quantités négligeables et les capacités d’irrigation pour la production agricole dépendent entièrement du fleuve.

Les écueils ne manquent pas à commencer par la cascade de barrages que l’Éthiopie a commencé d’installer et prévoit de construire encore sur le Nil bleu et sur quelques cours d’eau importants. Entre autres : le monumental barrage du Grand Millenium, dont la construction vient de commencer à une quarantaine de kilomètres de la frontière soudanaise, sera dans quatre ans le plus important ouvrage hydroélectrique d’Afrique. L’Ethiopie entend bien exploiter son château d’eau naturel et se poser comme l’un des principaux producteurs d’électricité du continent. Une énergie qu’elle pourra vendre à ses voisins : Kenya, Soudan, Djibouti et autres.
Cette ambition ne va pas sans problèmes. D’abord, les retenues ont forcément des conséquences sur le débit aval des cours d’eau. De quoi inquiéter sérieusement les Soudanais et les Égyptiens. Mais la construction de ces barrages menace aussi des populations dont la production alimentaire dépend largement des cycles saisonniers des crues et d’autres qui se voient chassées de leurs terres.
Inquiétudes aussi dans les milieux écologistes quant aux impacts environnementaux de cette multiplication d’aménagements (à quoi il faut ajouter les conséquences encore mal connues des changements climatiques), ainsi que chez les défenseurs du patrimoine : le site préhistorique de la basse vallée de la rivière Omo et l’écosystème du Lac Turkana figurent sur les listes de protection de l’Unesco.
Les autorités d’Addis Abeba se veulent certes rassurantes : les barrages hydroélectriques ne devraient pas servir à l’irrigation. Mais en même temps, on sait que l’Éthiopie, à l’instar du Soudan, a ouvert ses portes aux investisseurs étrangers qui s’accaparent de terres agricoles ancestrales pour produire des céréales destinées aux consommateurs de leurs propres pays. Et ces nouvelles cultures irriguées réclament de gros suppléments d’eau détournée du Nil, même si l’on adopte des technologies moins gourmandes.
Enfin, les gestionnaires du Nil se doivent également de prendre en compte une courbe démographique. En 1929, un premier traité conclu sous l’égide de la puissance coloniale britannique avait obligé l’Égypte à limiter ses prélèvements de manière à ce que le Soudan, en amont, puisse lui aussi en tirer profit.
Trente ans plus tard, pour prévenir de nouveaux contentieux autour des projets de barrages, dont celui d’Assouan, les deux gouvernements se mirent d’accord sur une nouvelle clé de répartition : 55,5 milliards de mètres cubes pour l’Égypte, 18,5 pour le Soudan. Tout cela bien sûr sans la moindre consultation avec les pays d’amont, l’Éthiopie en particulier, d’où s’écoule le Nil bleu qui fournit au fleuve les deux tiers de son débit.
Il faudra attendre quarante ans pour que neuf États riverains, en 1999 à Dar es Salam (Tanzanie), jettent les bases d’un partenariat à l’enseigne de l’Initiative du Bassin du Nil pour “assurer la prospérité, la sécurité et la paix pour toutes ses populations”. Mais sans grands résultats.
Ce qui, de guerre lasse, incita l’an dernier l’Ethiopie, l’Uganda, le Rwanda et la Tanzanie, suivis plus tard du Kenya et du Burundi, à signer un nouvel accord non chiffré sur le partage des eaux du Nil : les pays riverains sont autorisés à prélever toute l’eau dont ils estiment avoir besoin sans toutefois porter préjudice aux pays d’aval. Ce coup de force, on s’y attendait, irrita fortement Le Caire, pour qui pareil accord, jugé unilatéral et non contraignant, non seulement ne sert pas ses intérêts mais viole ses droits historiques.
Changement de ton après la chute du pouvoir en Égypte qui semble désormais décidée à renouer le dialogue. Son ministre des ressources en eau et de l’irrigation, Hicham Qandil, reconnaît que les désaccords entre pays riverains sont certes profonds et ne peuvent être ignorés, mais qu’il est temps aussi d’essayer de les surmonter et de faciliter les projets de coopération.
Pour Mahmoud Abou-Zeid, ancien ministre égyptien des ressources en eau et aujourd’hui président du Conseil arabe de l’eau, “le Nil est tellement grand que tout le monde peut en avoir une part. Nous ne devrions nous inquiéter non pas de la disponibilité des ressources, mais de la façon de développer des programmes communs pour le bénéfice de tous” (cité par‘La Voix de l’Amérique’, 30 septembre 2011).
L’heure est peut-être à la détente. Ici et là on peut en glaner quelques signes encourageants. Au terme d’une brève visite au Caire en septembre, le premier ministre éthiopien Meles Zenawi (qui avait déjà fait savoir que l’accord sur le partage des eaux du Nil ne serait pas ratifié avant l’élection d’un nouveau président égyptien) déclare que les deux pays ont convenu de travailler sur la base d’une solution gagnant-gagnant pour tous les pays du bassin. Quelques jours plus tard, le Soudan annonce qu’il participera avec l’Égypte et l’Éthiopie à des initiatives communes de coopération entre les trois pays et à l’échange d’expertises techniques pour une meilleure gestion des ressources du Nil.

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