RDCONGO : après trente-deux ans de mobutisme, la République démocratique du Congo ouvre une nouvelle page de son histoire tourmentée : la décolonisation, les sécessions qui s'en sont suivies, la dictature du maréchal Mobutu et, enfin, la victoire des rebelles de l'AFDL, conduite par Laurent-Désiré Kabila. Ce dernier, premier président de la nouvelle République démocratique du Congo, devra s'atteler à une tâche ardue : redresser économiquement un pays dévasté par plus de trois décennies de gaspillages, de vols, de pillages et de corruption généralisée à l'instigation de son prédécesseur Mobutu et de ses courtisans aussi bien congolais qu'occidentaux. Dans cette optique, il importe de procéder à un inventaire minutieux de l'appareil productif et du potentiel humain si l'on veut, une fois la tourmente passée, aider le pays à se relever, à se reconstruire. Sur la scène politique, il est prématuré d'analyser l'action du gouvernement Kabila et surtout de le critiquer, même si certaines de ces décisions peuvent heurter.

La République démocratique du Congo est le pays des paradoxes et de la démesure. Démesure dans sa superficie, avec un territoire de plus de 2 millions de km², dans ses richesses, avec un formidable potentiel minier, agricole, forestier, énergétique et halieutique, dans la taille de sa capitale, Kinshasa, qui concentre plus d'un dixième de la population totale, dans son réseau fluvial avec l'un des plus puissants fleuves au monde, le Congo. Mais démesure aussi dans ses indicateurs économiques et sociaux, parmi les plus faibles du continent africain et dans la manière dont il a été géré pendant plus de trois décennies, une gestion qui s'est caractérisée par un pillage des deniers publics au profit de quelques uns, sans grand équivalent ailleurs, qui a entraîné une dégradation des conditions socio-économiques et un terrible bond en arrière...
Le bilan est lourd et les contrastes immenses. D'un côté, un pays potentiellement riche, quelques îlots de richesse peu ou mal investie, un Etat du temps de Mobutu quasi inexistant, qui a fait la preuve de son incapacité à mettre en valeur l'immense potentiel humain et économique. De l'autre côté, un pays pauvre, en crise, fortement endetté, un grand dénuement, mais également une population pleine de vitalité, fourmillant d'initiatives mais dont la majorité s'épuise dans la lutte quotidienne pour survivre.
Ce décalage entre les formidables potentialités que recèle le pays et la réalité découle d'un quart de siècle de dictature et d'une gestion prédatrice qui a créé de forts handicaps structurels que les événements conjoncturels liés au processus de démocratisation ont contribué à aggraver.
La société congolaise est en proie à une crise morale, politique et économique profonde. Les infrastructures de base sont détruites et les unités de production endommagées par les pillages sont en mauvais état. L'économie tourne au ralenti et s'est informalisée. Les finances publiques sont exsangues, la dette publique atteint des montants importants.
Une des caractéristiques du régime de Mobutu était l'affaiblissement de l'Etat. Ce dernier avait quasiment disparu dans certaines régions et n'était vraiment qu'une réalité dans la capitale. D'une manière générale, l'Etat ne remplissait plus ses fonctions essentiels, tels que l'entretien des infrastructures ou la fourniture de services sociaux de base. La plupart des fonctionnaires connaissaient et connaissent encore des conditions de travail et de vie très difficiles.
L'affaiblissement de l'Etat a conduit à une dégradation de ses actifs physiques. Le réseau de transports et de communications ne représentait plus en 1993 qu'une fraction de sa capacité avant l'indépendance. Le réseau routier est aux trois-quarts en mauvais état. Une partie du chemin de fer ne fonctionne plus ou très mal. La circulation fluviale ne représente plus qu'environ 10 % du niveau des années cinquante. Les ports ne sont plus entretenus. Les télécommunications publiques fonctionnent très mal. La production d'électricité et transport à haute tension a augmenté mais pour un coup très élevé et moins de 50 % de sa capacité est utilisée. L'absence d'investissement entransport et en distribution secondaires a privé la plupart de la population, notamment rurale, d'électricité et l'approvisionnement en eau potable, principalement limité à Kinshasa et aux grandes villes. Ce qui est à retenir des dernières années qui englobent notamment toute la période de transition, c'est l'émergence d'une société civile qui s'est prise elle-même en charge et constitue d'ailleurs la seule force avec laquelle il s'agit à présent de compter. C'est du reste le parti pris qu'a adopté la Banque Mondiale pour maintenir sa présence technique en République démocratique du Congo dans la perspective d'une reprise de l'aide publique multilatérale en retenant, notamment, pour interlocuteur privilégié le Comité de politique économique et social qui en est issu.
Ce sont en effet les forces vives du pays qui manifestent - ici plus que jamais et comme nulle part - la créativité, quand on se rend compte de l'effort et de l'imagination qu'elles ont dû déployer pour survivre pendant ces longues années. C'est sur le potentiel humain que devront prendre appui les projets et les aides financières dont la mise en oeuvre ne peut plus être encore longtemps différée.
Ce sont ces forces humaines qui devront aussi être requises pour restaurer l'Etat dans ses vraies prérogatives, dans ses missions d'ordre public auxquelles il avait renoncé de longue date, dans ses institutions, en se réappropriant elles-mêmes le pays et l'économie nationale.
Ainsi, s'agit-il de prendre le plus exactement possible la mesure des données économiques actuelles pour dégager les priorités et élaborer des réponses nécessairement innovantes aux attentes nombreuses et énormes de la société congolaise, pour relever un pays pratiquement non moins sinistré qu'au lendemain d'une catastrophe naturelle ou des destructions massives d'une guerre.

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