Les négriers esclaves des européens Par millions, des navires européens déportèrent du XVe au XIXe siècle des esclaves noirs vers l'Amérique. Ce trafic de chair humaine fut introduit par les Portugais. Il commence en 1443, lorsqu'un trafiquant lusitanien ramena du golfe de Guinée un groupe de 263 Africains. Devenus bientôt maîtres de la chaîne de comptoirs qui s'échelonnaient tout au long du rivage atlantique, les Portugais mirent le continent en coupe réglée, comme une forêt, comme une mine. Parlant du Congo, l'un de leurs écrivains le décrit d'ailleurs comme "une mine à esclaves". C'est le Congo qui pâtit le plus de ce trafic, car ses sujets étaient très cotés sur les marchés. Lisbonne, au début du XVIe siècle, était devenue le principal marché d'esclaves alimentant à la fois le Portugal et les Amériques. A cette époque, on vendait déjà de 10 à 20.000 noirs par an. Le long de l'embouchure du Congo, les captifs venus en caravanes de l'intérieur étaient parqués dans des enclos en attendant preneurs.

Les négriers arabes
A peine la traite des esclaves diminuait-elle ainsi à l'Ouest, qu'elle se développait avec une intensité accrue dans tout l'Est du Congo. Cette fois, ce n'était plus à l'Amérique qu'il fallait de la main-d’œuvre bon marché, mais c'étaient les harems et les palais du Moyen-Orient qui réclamaient des femmes et des domestiques.
Dès le VIIIe siècle, les Arabes avaient étendu leur domination sur la rive orientale de l'Afrique; en bordure de l'océan Indien, ils avaient bâti des villes aujourd'hui ensevelies sous les forêts tropicales. Repoussés à la fin du XVe siècle par les Portugais qui avaient fait le tour du continent, ils reprirent bientôt pied, et deux cents ans plus tard, ils étaient redevenus les maîtres de la côte, loin vers le Sud.
A quelle époque, les premiers Arabes pénétrèrent-ils au Congo ? Il est difficile de le savoir mais il est avéré qu'au début du XIXe siècle on trouvait déjà des Congolaises dans les harems d'Osman et de Mascate. Pendant longtemps, comme jadis les Portugais au Bas-Congo, ils se contentèrent de razzias locales auxquelles s'ajoutaient de rares incursions vers l'intérieur. Cependant, les besoins allant croissant, notamment par suite de la suppression du débouché russe en esclaves blancs, ils s'aventurèrent de plus en plus vers le centre africain. En 1840, ils étaient parvenus au lac Tanganika et en 1858 les explorateurs Burton et Speke apportaient le premier témoignage sur les négriers arabes; ceux-ci avaient installé une base à Uvira. D'Uvira, ils rayonnaient vers l'Urundi et vers le Katanga où ils rencontraient d'ailleurs leurs collègues portugais.
Dès ce moment, ils firent du Congo leur terrain de chasse. Avec l'aide de tribus cannibales, dont ils devaient souvent protéger leurs captures, ils mirent des zones entières à feu et à sang; généralement, tout comme les «pombeiros» chez les Portugais, c'étaient des métis qui dirigeaient ces expéditions et organisaient les marchés.
Les forces arabes mirent vingt ans à envahir la région qui s'étend du lac Tanganika au Lualaba, en 1860, elles arrivaient à la rive du fleuve, s'y installaient et fondaient Nyangwe, qui longtemps allait être leur capitale africaine. De Nyangwe un réseau de postes Kirundu, Kabambare, etc. assurait les relais jusqu'au Tanganika. Il leur fallut encore une vingtaine d'années pour arriver à Stanleyville; en 1883, Stanley, remontant le fleuve, les rencontre à Basoko et dans l'Aruwimi qu'ils ravagent.
Pendant ce temps, d'autres incursions arabes partaient du Soudan. De plus faible envergure, elles contournaient les redoutables sultanats Azande pour aller razzier les tribus Mangbetu et Abarambo de l'Uélé. Elles devaient atteindre leur plus grande intensité lors des attaques madhistes.
Y eut-il des voyageurs arabes qui - préfigurant Stanley - descendirent le fleuve, sinon jusqu'à la mer, du moins jusqu'au Pool? La question, faute d'archives connues, reste ouverte, mais il est certain que, mieux que les explorateurs européens, ils savaient dès le milieu du XIXe siècle que le Lualaba était le Congo, et non le Nil, et plusieurs d'entre eux décrivirent à cette époque l'estuaire du fleuve, ses bateaux, ses factoreries.
Quel est le nombre de Congolais qui fut razzié par les Arabes pendant les quelques dizaines d'années que dura leur trafic? Ici aussi, les archives manquent pour apporter une réponse certaine. Il est connu que certaines caravanes qui parcoururent le millier de kilomètres séparant le Tanganika de l'océan Indien ne comptèrent pas moins de deux mille esclaves. L'on a estimé qu'à l'apogée de leur puissance africaine, les Arabes exportèrent quelque 70.000 Congolais par an. Aux chiffres de ces ventes, il faudrait ajouter celui des massacres, car les razzias arabes étaient particulièrement féroces et meurtrières. On peut avoir un indice du rôle proportionnel du Congo sur les marchés de l'époque; en consultant les tableaux de population de Zanzibar, ancienne capitale de la traite; aujourd'hui, sur les deux cent mille noirs qui peuplent le sultanat, la moitié est constituée par des descendants d'esclaves et deux mille d'entre eux se reconnaissent encore une origine congolaise.
Bientôt, l'occupation arabe devint si forte au Congo que l'on vit l'un de ces trafiquants s'y créer un sultanat; il s'agit à vrai dire du plus célèbre des négriers de cette période, Tippo­Tip. Lorsque arrivèrent les premiers Belges, ils trouvèrent en lui un potentat trop fort pour être attaqué avec chance par leurs faibles effectifs. A ce moment, Tippo-Tip régnait en maître incontesté sur tout le Maniéma et le Lomami et ses razzias allaient depuis le Haut-Ituri, à l'est, jusqu'à la Lulonga à l'ouest; elles tendaient ainsi à rejoindre les territoires foulés par les négriers de Khartoum. Mieux valait composer et tenter de rallier Tippo-Tip aux entreprises nouvelles. Celui-ci, devant les arrivants, se révéla d'ailleurs un diplomate avisé : déplaçant progressivement ses terrains de razzias, il manœuvra avec une telle habileté.

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