Origine et migrations des Nande Les Nande, qui constituent dans les territoires de Beni et de Lubero, la population prédominante du point de vue numérique, sont originaires de Muhulungu sur la rive droite proche de la rivière Semliki, et de la côte Ouest du lac Edouard. Bien avant leur installation dans ces montagnes, ils vinrent de Toro par le Busongora, il y a environs 200 ans 5. Vers la fin du XVIIIesiècle, les Nande, par diverses migrations successives, s'implantèrent dans les territoires administratifs de Beni et de Lubero, dans le Nord-Kivu, au Congo-Kinshasa. Le Père Lieven Bergmans, ancien missionnaire assomptionniste dans la région (1948-1976), situe leurs origines lointaines dans les grottes du Mont Elgon au Kenya où ils auraient vécu en troglodytes avant leur immigration en Ouganda dans le royaume de Kitara, arrière-garde des grandes migrations des bantu de l'Est à l'Ouest 6. Aux environs de cette montagne résident les Nandi. Malgré les affinités de tons, d'écriture et d'appartenance au groupe des bantu, cette ethnie n'a pas de liens avec les Nande car chaque peuple a sa culture propre. Par ailleurs, la tradition orale garde un silence complet sur l'existence de ce peuple. La mémoire la plus ancienne des Nande remonte au royaume de Kitara dans l'ancien Ntoro qui comprenait aussi l'Ankole en Ouganda. L'implantation des Nande au Congo n'est pas unique en son genre. Elle se situe au XVIIesiècle lors du grand mouvement de migration des bantu composé des Hunde, des Hutu, des Nyanga, des Havu et des Shi, peuples qui habitent autour du Lac Kivu. Pour des raisons politiques, économiques et humaines, les Nande, en particulier, quittèrent leur ancien royaume de Kitara pour s'implanter au Congo. Ce royaume connut, durant le XVIIesiècle, des changements successifs des ethnies régnantes : les pasteurs Hema, les Hamites Chwezi et les bantu Bito, en provenance du Bunyoro. La branche cadette de ces derniers formera les ancêtres lointains aux chefs des tribus nande, d’abord dans la région de Kitara, ensuite dans la contrée qu’ils occupent actuellement. La classe régnante (bakama) avait associé le reste des fugitifs hema et chwezi aux Nande et les maintint dans la classe inférieure des serfs (bayira). A la même période, une famine que les Nande, essentiellement agriculteurs ne pouvaient supporter, sévit dans le royaume. Le désir d'autonomie et la lutte pour la survie, auxquels s'ajoutèrent les querelles entre frères du même sang, décidèrent les Nande à chercher un lieu de liberté et de paix avec des terres arables 7. Ainsi, selon la mythologie transmise de père à fils, les nande traversèrent la rivière Semliki, sur le dos du dragon pour parvenir à l'autre rive au Congo. A dire vrai, le passage se fit au gué de Kapanza. Au moment de la sécheresse, les pierres émergent de l’eau de sorte qu’on peut facilement traverser le fleuve. Ce sont ces pointes de pierres qui ont été comparées au dos écailleux du dragon que la tradition narrative véhicule de père à fils comme une mythologie, avec une idée religieuse sous-jacente. Cette traversée mystérieuse fut rendue possible grâce à l’intervention de l'espritKatulikanzira, qui précèda le convoi des immigrants et les installa au lieu de son choix. Néanmoins, lors de la traversée, une partie des Nande resta en Ouganda sur la côte est des monts du Ruwenzori et de la rivière Semliki qui séparent le Congo de l’Ouganda. Ceux-ci sont actuellement appelésKondjo.Ils furent séparés géographiquement et administrativement de leurs frères nande lors du découpage et du partage de l’Afrique entre les grandes puissances européennes en 1885. Ils gardent, toutefois, les mêmes us et coutumes que les nande hormis les nuances linguistiques enkikondjo. Cette dénomination,kondjoqui est à l’origine du nombukondjoqui désigne le territoire habité par les Nande en Ouganda dans le district de Kasese, porte parfois une connotation péjorative quand il s'agit d'un interlocuteur arabisé qui parle des nande. Montagnards habitués au climat froid, ils ne résistaient pas beaucoup à la chaleur et à la malaria qui sévissaient dans la plaine de la Semliki lors des campagne négrières à la fin du XIXesiècle. Devenus familiers du paludisme, les arabisés les surnommèrentbakonjo,déformation duswahili wagonjwa,qui signifie au pluriel ‘malades’. A vrai dire, peuple d'agriculteurs,Bakonjoprovient de la déformation dukinande Bakondiqui signifie « abatteurs d'arbres ». Cette activité avait pour but de créer des espaces arables 8. Vers la fin du XVIIesiècle, l'occupation de la région, qui deviendra avec la conquête coloniale les territoires de Beni et de Lubero, s'effectua en quatre vagues successives : des Bahera et des Bakira, des Bashu suivis des Bansongora et des Banisanza dans la zone de Beni jusqu'au pied des monts Ruwenzori. Les Baswagha, les Bamate et les Batangi dans la zone de Lubero constituèrent la seconde vague de migration.

Enfin le groupe hétérogène des derniers arrivés était une fois de plus composés des Baswagha, des Batangi, des Basengu, et des Bahambo. Ils se détachèrent de leurs frères restés en Ouganda actuellement connus sous les dénominations des Baniangala, Bahambo et Baseru 9. Nord Kivu et ses territoires (1912), dans Ministère des Colonies (Affaires Indigènes et Main-d’œuvre : AIMO, M 614). Beni et Lubero se trouvent dans le grand Nord.
Toutes ces tribus traversèrent la rivière Semliki et, après plusieurs dispersions à l'Est en Ouganda et à l'Ouest au Congo, contournèrent les monts Ruwenzori et s'établirent autour du lac Édouard. Cependant, à l’intérieur même du territoire de Lubero, le groupe des Batangi se scinda géographiquement parlant en deux parties.
La tradition raconte que Moera était un chasseur. Cette recherche du gibier le fit parvenir dans le territoire de Beni chez les Balese qui le réduirent à l’esclavage. Lors de l’occupation coloniale, le chef des Balese préféra livrer Moera pour rendre les services exigés par le colonisateur. Il évitait ainsi les corvées, l’apport de la nourriture aux travailleurs des hommes au service de l’État, et les coups de fouets quand le service demandé n’était pas bien rendu.
Lors de la reconnaissance de l’autorité locale par l’Administration coloniale, les fonctionnaires de l’État reconnurent Moera, l’esclave qui leur avait été livré et qui subissait les corvées de l’Etat à la place du véritable chef local des Babumba, resté dans la cachette. Ils l’investirent comme « chef médaillé » de la contrée qu’il représenta désormais auprès de l’Administration coloniale. Cette situation se trouve à l’origine de la migration d’une partie des Batangi dans la zone de Beni. C’est pourquoi, dans la zone de Beni, on parle des Batangi du Nord, et de ceux de Kainama, pendant que l’autre groupe des Batangi réside dans la zone de Lubero 10. Carte à la portée de la population après le renversement du pouvoir de Mobutu en 1996.
Beni et Lubero près des frontières du Rwanda et de l’Ouganda
Dans les deux zones administratives de Beni et de Lubero, les Nande, après les premiers heurts liés à l’installation, vivent pacifiquement avec d’autres ethnies, dont les pygmées, premiers citoyens congolais, les Bapere, les Okayiko, les Bapakombe, les Babira, les Balese, les Bambumba, les Batalinga, les Bahema et les Wanyanga 11. Ces ethnies n’ont pas adhéré au christianisme au même rythme que les Nande. Certains sont restés indifférents, d’autres inconstants. Les raisons profondes de ces attitudes résident, selon certains, dans la fidélité et l’attachement à leurs traditions et au manque de persévérance des agents pastoraux quand ils rencontrent des difficultés à pénétrer leurs cultures 12.
Cependant, cette diversité culturelle explique la motivation qui poussa les missionnaires à adopter plutôt leswahilique lekinande. En fait, leswahiliest une langue plus ouverte que lekinande. Dans le diocèse de Butembo-Beni et les diocèses voisins, ainsi que dans l’Est de l’Afrique, leswahiliest la langue courante. Il se présenta ainsi comme une langue d’unification des peuples.
En définitive, l’implantation des Nande sur les territoires de Lubero et de Beni s’est réalisée par vagues successives de migration. En réalité, la terminologie « migration » est un vocable récent qui remonte à la conquête coloniale. Elle fait allusion à la scission d’un même peuple qui eut lieu à la conférence internationale de Berlin (24 novembre 1884- 26 février 1885), lors du partage de l’Afrique par les grandes puissances coloniales occidentales.
Par cette terminologie nous pouvons constater que le découpage de la contrée qui fait l’objet de notre étude ne tint pas compte des unités linguistiques et tribales. Il a été réalisé à partir des limites géographiques naturelles, les montagnes et les rivières. Ce fait, vérifiable chez les Nande et les Batalinga, n’a jamais supprimé les liens de parentés, d’appartenance familiale ou ethnique.
L’Administrateur territorial, R. Flament, lors de ses prestations à Beni aboutit au même constat. Il notifia dans son rapport du 13 janvier 1951 que le mouvement d’émigration et d’immigration se perpétuait dans le territoire de Beni. Parmi les raisons qui maintenaient ce va et vient avec l’Ouganda se trouvaient des facteurs historiques, coutumiers et politiques. D’une part, les Nande ont gardé des attaches coutumières avec l’Ouganda, leur point de départ pour le Congo avant la conquête coloniale. D’autre part, ils se rendent d’un pays à l’autre quand ils perçoivent que le joug colonial y est plus tolérable 13.
Ces populations locales furent séparées physiquement, géographiquement et administrativement de leurs frères de sang par la rivière Semliki, les massifs de la Ruwenzori, le lac Edouard et la rivière Lubilia chez les Batalinga. Cette subdivision, depuis 1915, est à l’origine de deux évolutions historiques et administratives différentes : le régime belge au Congo, et le régime anglais en Ouganda.

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