Ebola est une maladie très grave. Partout où elle passe, elle laisse des enfants seuls, des orphelins, veuves et veufs.

🚨En République démocratique du Congo, face à l'épidémie d'Ebola au Nord-Kivu, le ministère de la Santé se veut rassurant ; mais le nombre de cas explose, plus d'une dizaine de cas chaque jour, et les attaques se multiplient contre les structures de santé.

« Les conditions sécuritaires et la multiplication des foyers infectieux » compliquent la réponse sanitaire, affirme Ghassan Abou Chaar, le responsable adjoint des urgences chez Médecins sans frontières. Il poursuit : « On ne peut pas vraiment dire si l’on perd le contrôle sur l’épidémie ».
De son côté, le ministère de la Santé congolais se veut rassurant. Dans son bulletin quotidien, il affirme que le taux de survie des patients dans les centres de traitement Ebola, les CTE, est en hausse. À Butembo par exemple, il serait passé de 56 à près de 69% entre février et mai.

Mais la réalité est bien plus complexe, car le ministère ne prend pas en compte les malades décédés moins de 48h après leur admission. C’est 55 victimes de moins dans les statistiques.

Mais si les chiffres sont si favorables, c’est surtout parce que les populations ne veulent pas aller dans ces centres de traitement Ebola. Et pour cause : ils ont été attaqués plusieurs fois par des hommes armés ces dernières semaines.

Les malades préfèrent rester chez eux. Les décès hors des structures sanitaires explosent. Et la maladie progresse. Le docteur Jean Christophe Shako, le coordonnateur de la riposte Ebola à Butembo, le concède, il y a un paradoxe : les gens ne font plus confiance aux CTE, pourtant c’est leur meilleur gage de survie.

■ Déjà plus de mille morts

Depuis le début de l’épidémie en août dernier, 1 124 personnes sont mortes. Ebola est extrêmement contagieux. Il suffit d’un contact, d’une goutte de sueur ou d’un postillon pour être infecté.

L’important pour les équipes de santé est de maîtriser ce que l’on appelle la chaîne de contamination. Concrètement, si vous êtes infecté, des agents de santé vont immédiatement se rendre chez vous, vacciner votre famille et ensuite établir une liste de tous les contacts avez qui vous avez communiqués ces derniers jours.

Tous ces potentiels contaminés seront suivis et soignés, si jamais des symptômes apparaissent. Les chances de survie sont multipliées, mais surtout, l’épidémie est contenue, maîtrisée.

Sauf que dans le Nord-Kivu, le contrôle sur cette chaîne de contamination échappe donc désormais à tout contrôle, et le cercle vicieux débute : impossible de mettre en place le suivi des contacts des personnes infectées si jamais les malades restent chez eux. Alors ils contaminent d’autres personnes et aucun ou presque ne se rend au CTE, parce qu’ils en ont peur de ne jamais en ressortir.

Pour sa part, Monsieur Kambale Munyama Moïse, président du conseil urbain de l’ordre des infirmiers du Congo à Beni a profité de ce cadre pour demander à ses paires de fournir encore plus d’efforts pour éradiquer complètement cette épidémie.

« J’ai un message vibrant, nous devons comprendre que la maladie à virus ebola existe à Beni-ville et territoire, Butembo ville et territoire de Lubero, je voudrais persuader nos membres infirmiers qui ont prêté serment de se mettre au travail pour bouter dehors cette maladie meurtrière ».

Notons que les infirmiers et infirmières ont toujours été à l’honneur le 12 mai de chaque année, à Beni elle a été décalée pour des raisons organisationnelles.

La première population touchée est le personnel de santé, plus de 90 personnels de santé ont été infectés depuis le début de cette épidémie et 35 en sont morts, c’est énorme. Donc, avoir des gens qui acceptent au jour le jour de soigner des gens Ebola extrêmement contagieux, parce qu’ils ont beaucoup de virus au moment où ils viennent dans les centres de traitement.

À ça s’ajoute un vrai risque pour l’intégrité physique via l’insécurité. Oui, le courage de ces gens est absolument exceptionnel. Je sais que la communauté, la population de Beni, de Butembo, de Katwa, des autres zones touchées au Nord-Kivu, c’est ça, c’est ce courage et le besoin qu’ils ont que ces gens restent.

Plus de 1 000 morts depuis le mois d’août dernier au Nord-Kivu. Est-ce à dire que l’épidémie d’Ebola est devenue hors de contrôle ?

Augustin Augier : Hors de contrôle ? Je ne sais pas, mais en tout cas il y a de plus en plus de cas. Cela fait quatre semaines d’affilée que le nombre de cas confirmés par semaine est supérieur à la semaine précédente, donc l’épidémie est inquiétante, elle touche, elle tue beaucoup de gens au Nord-Kivu, c’est une réalité malheureusement.

Et alors ce que les gens ne savent peut-être pas, c’est qu’à la différence de l’épidémie en Afrique de l’Ouest en 2014, aujourd’hui en 2019, on soigne mieux la maladie.

On soigne mieux la maladie. On a des médicaments qui sont prometteurs pour traiter la maladie. On est capable de donner des soins de réanimation. Une ONG comme Alima a beaucoup appris de ce qui se faisait au Nord et de ce qui s’est fait en 2014-15. Avant deux personnes sur trois mourraient de la maladie, aujourd’hui c’est trois ou quatre sur dix seulement. Ça reste très élevé, mais c’est quand même beaucoup mieux. Les soins sont gratuits, disponibles pour tous et particulièrement efficaces si les gens viennent tôt dans leur épisode de la maladie.

Et pourtant, il semble qu’il y ait beaucoup de gens qui manifestent de la défiance vis-à-vis de tout ce que vous faites, vis-à-vis des CTE, les fameux Centres de traitement d’Ebola.

Les gens qui sont venus dans les CTE et qui en ressortent guéris manifestent beaucoup de confiance, parce qu’ils ont vu le travail phénoménal fait par les infirmiers, les médecins du ministère de la Santé, d’ONG comme Alima, sur le terrain pour les soigner. Une partie de la population continue à avoir de la défiance, parce qu’ils ne sont pas certains que cette maladie existe. Cette maladie, elle fait peur. Une maladie qui tue des personnes en bonne santé en moins de dix jours, ça fait peur. Et ça, il faut qu’on le reconnaisse et qu’on l’accepte.

Et la meilleure façon pour lever cette défiance, c’est de faire confiance à la communauté. C’est elle qui peut résoudre le problème. Et pour ça, il faut qu’on lui donne les moyens de lutter contre cette maladie. Ce qu’on essaye de faire dans certains endroits en donnant, par exemple, tout le matériel, la formation, les éléments qui leur manquent, à des communautés des centres de santé pour prendre eux-mêmes en charge les cas suspects. Pendant deux jours, trois jours, le temps de savoir s’ils sont confirmés ou pas. On l’a fait dans la ville de Katwa et ça marche, parce qu’évidemment les communautés ont intérêt à y arriver et veulent apprendre à le faire. Donc si on leur fait confiance et qu’on leur donne les moyens, on y arrive.


C’est très difficile de comprendre cela d’abord. C’est très triste pour sa famille, ces proches, pour toute la communauté humanitaire qui est touchée. Les gens sur le terrain prennent des risques face à la maladie, face à la sécurité, font des efforts pour les populations et personne ne peut comprendre qu’on les prenne pour cible, à aucun moment. Et d’ailleurs, la communauté, la population de Butembo et de Katwa ne le comprend pas. À la fin du mois de février, au début du mois de mars, deux centres de traitement ont été attaqués et brûlés, ce qui a fait que des ONG, notamment Médecins sans frontières, c’est retiré. Qui sont les perdants de ce type d’acte ? C’est la population, toute la population.

À la suite de cet assassinat, onze suspects ont été arrêtés. Et la responsabilité d’un groupe Maï-Maï a été évoquée par les autorités. Est-ce que des mouvements rebelles utilisent la mobilisation internationale contre Ebola pour essayer de faire parler d’eux par exemple ?

Je pense que l’on peut faire davantage pour ces populations. La première chose, c’est que les besoins ne sont pas uniquement sur Ebola dans cette zone-là. Il y a des besoins en santé de manière générale, et la population, une partie de la population attend de l’aide plus globalement. Est-ce que des gens utilisent cela pour monter la population contre la riposte ? Je ne sais pas. En tout cas, des tracts sont distribués dans ce sens-là. Et pour autant, les gens comprennent qu’ils sont face à une maladie qui les touche. C’est des drames. Il faut voir ce que c’est Ebola.

Cela touche souvent plusieurs personnes dans la même famille. Vous pouvez avoir un parent, un ou deux enfants qui vont mourir. Les autres, qui arrivent à en survivre, mais dans quel état sont-ils en sortant ? Les gens ne sont pas dupes, parce qu’ils voient bien que c’est possible si jamais on vient se faire soigner, qu’on vient tôt. Donc je pense que les discours consistent à créer la défiance ne marcheront pas. La meilleure façon d’aider la population aujourd’hui du Nord-Kivu, qui fait face à cette épidémie, c’est de ne pas politiser cette affaire.

Est-il vrai que l’on a forcé des gens à aller se faire soigner dans des CTE, dans des Centres de traitement d’Ebola ?

À ma connaissance, personne n’a été forcé. On n’est pas dans une contrainte. Il faut convaincre les gens. Il y a de très bonnes raisons de les convaincre. Les soins sont efficaces, les soins sont gratuits, la famille peut venir vous voir tous les jours. Quand vous repartez guéris, on vous donne de quoi repartir à la maison avec de la nourriture, des habits neufs, un nouveau téléphone. Tout est fait pour qu’il y ait de la transparence, de la confiance et l’efficacité médicale pour les patients.

Jusqu’à présent, au Congo-Kinshasa, c’était le ministère de la Santé qui s’occupait du traitement d’Ebola, et le président Tshisekedi vient d’annoncer que désormais d’autres ministères seront impliqués, notamment ceux de la Défense et de l’Intérieur. Est-ce que cela ne risque pas de politiser le traitement d’Ebola ?

Je ne l’espère pas. Le président Tshisekedi a estimé qu’il devait revoir l’architecture de la riposte, et il est souverain, c’est normal. On espère que cette réforme permettra à nous tous d’être plus efficaces dans la lutte contre la maladie.

Ce n'est pas facile de lutter contre l'épidémie Ebola dans l'est du Congo-Kinshasa. La fièvre hémorragique tue de plus en plus de personnes et la défiance de certains habitants complique la tâche des personnels soignants. Pourtant, l'ONG Alima, Alliance pour l'action médicale internationale, ne baisse pas les bras. Avec ses quelque 200 agents de santé sur le terrain, elle multiplie les CTE, les Centres de traitement d'Ebola. Augustin Augier, directeur général d'Alima, est notre invité.

Lors d’une cérémonie commémorative de la Journée des Infirmiers et Infirmières ce lundi 13 mai à Beni, le docteur Gaston Chapenda, coordinateur de la sous coordination de la riposte Beni a rendu un vibrant hommage à ces hommes et femmes en blouses blanches pour le sacrifice consenti en vue de lutter contre la maladie à Virus Ebola dans la région.

« En ce qui concerne le contexte dans lequel nous sommes, la gestion de la maladie à virus Ebola, il faut dire que ce sont les infirmiers et infirmières qui sont au premier plan dans cette lutte, pour dire qu’ils sont des soldats dans cette lutte contre la M.V.E, pour le démontrer nous avons quelques chiffres, il y a 16 membres du corps soignant qui ont été affectés par cette maladie qui a débuté depuis août 2018, parmi lesquels 5 en sont morts alors qu’ils tentaient de sauver les vies d’autres personnes, bien sûr pour la sous coordination de Beni », a expliqué docteur Gaston.

En novembre dernier, une maman de mon quartier est morte d’Ebola, laissant derrière elle un veuf et six enfants. J’ai rencontré Consolée, la fille aînée de la famille, âgée de 16 ans.

« Je ne sais pas quoi dire, nous n’avions pas encore compris la mort de notre maman parce qu’on ne s’y attendait pas », m’explique Consolée, encore choquée par la nouvelle. « Elle n’était pas gravement malade mais elle est morte alors qu’elle était au centre de traitement Ebola ».

La maman de Consolée a été infectée en rendant visite à une voisine malade qui était soignée dans un centre de santé voisin. Personne ne savait au début qu’elle était atteinte d’Ebola et ce n’est que quelques jours que le diagnostic est tombé.

Rapidement, la maman de Consolée a été vaccinée mais il était déjà trop tard : elle avait été infectée. Après 4 jours de fièvre et de vomissements, la maman de Consolée est décédée au centre de traitement Ebola (CTE). Lorsque Consolée a appris la nouvelle, elle s’est directement rendue au CTE pour réclamer le corps de sa maman. Pour éviter tout risque de contamination, un enterrement digne et sécurisé a été organisé et tous les membres de la famille ont été vaccinés.

Le petit frère de Consolée, qui n’a que 3 ans, était très attaché à sa maman et ne comprend pas la situation. « Il ne fait que pleurer et à tout moment, il nous demande où est partie maman », explique Consolée. Comme elle est la fille aînée de la famille, elle a maintenant une grande responsabilité de s’occuper et de prendre en charge ses petits frères et petites sœurs

« Elle était tout pour nous mais Ebola nous l’a arraché »

Au cours de ces 6 derniers mois, plus de 900 enfants ont été séparés de leurs parents. Ebola oblige aussi les enfants affectés à se déplacer, à abandonner leurs études et à arrêter de jouer entre amis.

Nous voulons que cela cesse. Avec l’implication de tout le monde, nous devons éradiquer Ebola pour qu’il n’y ait plus d’orphelins d’Ebola. Nous demandons aussi aux partenaires de venir en aide aux enfants affectés en mettant en place des espaces amis d’enfants pour qu’ils puissent jouer, être réconfortés par des assistants psychosociaux et redevenir des enfants comme les autres.

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