En conflit avec la Cnil, le géant d'internet google gagne la bataille du droit à l'oubli numérique

Le Conseil d'Etat a tranché en faveur de Google.

Dans une décision rendue le 27 mars 2020, le juge administratif estime que l'entreprise américaine n'est pas tenue de procéder à un déréférencement sur l'ensemble des versions de son moteur de recherche mais seulement sur la version de l'Etat membre de résidence du demandeur.

En conflit avec la Cnil, l'entreprise américaine refusait de supprimer les liens litigieux à une échelle globale.

Dans une décision rendue le 27 mars 2020, le Conseil d'Etat précise la portée géographique du droit à l'oubli numérique.

Le juge administratif estime que Google n'est pas tenu de procéder à un déréférencement sur l'ensemble des versions de son moteur de recherche mais seulement sur la version de l'Etat membre de résidence du demandeur.

Le droit au déréférencement – ou droit à l'oubli – désigne le fait de pouvoir demander à un moteur de recherche de supprimer certains résultats associés à son nom et prénom.

UNE ATTEINTE À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION

En conflit avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), l'entreprise américaine refusait de supprimer les liens litigieux dans les résultats de recherche depuis d'autres pays que celui du plaignant.

Elle estimait que cela provoquerait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et d'information sur internet, et critiquait une mesure à portée extraterritoriale.

La Cnil indique qu'elle prend note de la décision rendue par la Conseil d'Etat. "La Cnil adaptera dans les prochains jours les contenus de son site consacrés au 'droit à l’oubli' pour tenir compte des précisions données par le Conseil d’État sur ce droit essentiel consacré au profit des personnes par le RGPD", a-t-elle écrit dans un communiqué publié le 27 mars 2020.

En tranchant ainsi, le Conseil d'Etat a simplement repris la position de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

Par un arrêt du 24 septembre 2019, cette juridiction a estimé que le droit à l'oubli n'est pas "un droit absolu" et doit "être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux (…) comme la liberté d'information des internautes".

Conséquence de quoi, le juge européen a estimé qu'il n'existe pas pour l'exploitant d'un moteur de recherche d'obligation de "procéder à tel déréférencement sur l'ensemble des versions de son moteur".

GOOGLE FACE À LA CNIL

Pour comprendre la genèse de cette affaire, il faut remonter au 21 mai 2015, lorsque la Cnil a mis en demeure Google de supprimer les liens menant vers les pages web s'affichant suite à une recherche effectuée à partir du nom d'une personne physique.

Face à l'inertie de l'entreprise américaine, la Cnil a prononcé en 2016 une amende de 100 000 euros. Mais Google ne s'est pas laissé faire et s'en est remis au Conseil d'Etat, arguant que le droit à l'oubli numérique n'impliquait pas nécessairement que les liens en cause soient supprimés, sans limitation géographique, sur l'ensemble des noms de domaines de son moteur de recherche.

La plus haute juridiction administrative a alors saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, soit une procédure permettant à une juridiction nationale d'interroger la CJUE sur l'interprétation du droit de l'UE dans le cadre d'un litige dont elle est saisie.

Et voici la question : est-ce qu'un moteur de recherche doit, au nom du droit à l'oubli, opérer ce déréférencement sur l'ensemble des versions de son moteur ou seulement sur la version de l'Etat membre de résidence du bénéficiaire ?

La réponse de la CJUE a été très claire : ce droit ne s'applique que sur la version de l'Etat membre de résidence du demandeur.

Le Conseil d'Etat n'a donc fait que consacrer ce nouveau principe.

Sur le plan innational en revanche, Google pourrait faire face plus rapidement à la justice :

Hormis les nouveaux services que la réglementation viendra encadrer a posteriori, la position de Google dans la recherche en ligne et sur le marché publicitaire Internet soulève en même temps des questions plus classiques de concurrence.

Avec plus de 90 % des recherches effectuées sur Google en France, en Allemagne et en Italie, le moteur de recherche domine en Europe et s’est imposé partout comme le leader du marché publicitaire sur Internet grâce aux liens sponsorisés qu’il commercialise.

Autant dire qu’une enquête sur les pratiques de référencement du moteur de recherche et les conditions de commercialisation des liens sponsorisées menacerait directement le cœur de l’activité de Google.

C’est ce qui pourrait advenir si la Commission européenne donnait suite aux trois plaintes reçues de Ciao, un comparateur de prix racheté en 2008 par Microsoft qui lui reproche ses conditions contractuelles pour la publicité en ligne, du moteur de recherche spécialisé ejustice.fr, installé en France, et du comparateur de prix britannique Foundem, ces deux derniers plaignants dénonçant les conditions de référencement de leur site dans les résultats du moteur de recherche Google.

À ce jour, la Commission européenne a seulement transmis, le 24 février 2010, une demande d’explications à Google.

Google face à la justice
Par Alexandre Joux - N°14-15 Printemps - été 2010
Si Google fait l’objet de nombreuses plaintes de la part de ses concurrents, il semble nécessaire de distinguer celles qui relèvent du droit de la concurrence et de l’importance prise par le moteur de recherche dans la publicité en ligne d’une part, et celles qui sont liées à un besoin de réglementation sur des services nouveaux et innovants où Google se positionne d’autre part.

Google, numéro un mondial de la recherche en ligne et premier acteur de la publicité sur Internet, suscite de plus en plus d’inquiétude chez ses concurrents, ses clients et les pouvoirs publics.

Les procès se multiplient non seulement, parce que Google a su s’imposer comme un acteur incontournable sur Internet, mais également parce que le groupe est parmi les plus innovants.

En défrichant le Web, il propose des services et offre des possibilités que le droit doit a posteriori venir encadrer. Aussi faut-il distinguer entre deux sortes de procès dont Google fait aujourd’hui l’objet.

Parmi les procès liés au développement de nouveaux services que la justice veut encadrer, on peut citer l’affaire italienne (voir supra) concernant la protection de la vie privée sur les sites d’échange de vidéos, même si la jurisprudence en Europe laissait jusqu’ici penser que le problème était réglé, l’hébergeur de contenus n’étant pas responsable des actes des utilisateurs de son service.

Dans le même ordre d’idée, le jugement rendu le 23 mars 2010 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans le conflit opposant Google à LVMH sur le droit des marques constitue là encore une jurisprudence pour un problème nouveau né avec le développement des liens sponsorisés.

La plainte remonte à 2003 : le succès de l’achat de mots clés sur Google, avec le système AdWords, a conduit certains annonceurs à acheter comme mots clés des noms de marque, dont celles de LVMH (Louis Vuitton), soit pour profiter de l’aura de la marque et attirer vers leur site un plus grand nombre d’internautes, soit pour proposer des contrefaçons.

L’arrêt de la CJUE dédouane Google de la responsabilité de la commercialisation des mots clés pour les noms de marque, seuls les annonceurs étant responsables lors de l’achat en fonction de l’activité qu’ils proposent : acheter un mot clé d’une marque de voiture pour faire la promotion d’un magazine sur l’automobile ne doit pas poser problème, acheter le mot clé Louis Vuitton pour proposer des contrefaçons de marque est désormais condamnable, en plus de la seule contrefaçon.

Les entreprises, dont les marques seront détournées, devront passer par un simple référé pour faire condamner l’annonceur malveillant.

Google ne pourra être condamné que s’il joue un « rôle actif » auprès des annonceurs ou ne retire pas les liens sponsorisés renvoyant vers des sites aux activités illicites quand il en a connaissance.

Pour Google, ce jugement de la Cour européenne valide la légalité d’AdWords, sa plate-forme de liens sponsorisés qui compte à elle seule pour deux tiers de ses revenus en 2009 (17,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires sur un total de 23,6 milliards).

Les menaces contre Google Street View en Suisse ou en Allemagne relèvent elles aussi de l’opportunité d’une jurisprudence sur un nouveau service.

Street View est un service de navigation en ligne à travers les rues des villes, réalisé à partir de photographies des rues prises par des Google Cars.

Afin de protéger la vie privée et le droit à l’image, le visage des personnes et les plaques d’immatriculation sont floutés, mais l’extérieur des habitations est visible.

Ce floutage est demandé systématiquement par les organismes de protection de la vie privée lors du lancement dans un pays de Street View, comme ce fut le cas, à la demande de la Cnil pour le lancement du service en France, en 2008.

Pourtant, les logiciels de reconnaissance des visages et des plaques minéralogiques ont parfois des limites et certains visages apparaissent dans la rue, certaines personnes derrière leur fenêtre ; certaines maisons sont à ce point identifiables qu’il est facile pour un cambrioleur d’en connaître toutes les issues et toutes les failles.

En Suisse, ce sont les failles du logiciel de floutage qui ont été dénoncées et, en août 2009, Hanspeter Thü, préposé fédéral à la protection des données personnelles, demandait à Google de stopper le développement de Street View.

En Allemagne, alors que Google s’apprête à y lancer Street View, les défenseurs de la vie privée ont obtenu de Google, le 23 février 2010, que toute personne désirant faire supprimer la photographie de sa maison puisse obtenir satisfaction.

Enfin, le 11 février 2010, le Groupe article 29 (G29), lequel fédère les instances nationales de protection des données, à l’instar de la Cnil en France, a envoyé un courrier à Google concernant son service Street View pour lui demander de supprimer, après six mois de conservation, les photos prises par les Google Cars, photographies que Google conserve un an pour corriger si besoin des erreurs de floutage.

Àcette demande concernant la durée de conservation des données personnelles, les visages des personnes étant reconnaissables sur les photographies avant floutage, s’ajoute une demande d’information préalable de la part de Google sur les zones qu’il compte photographier.

Enfin, cette information préalable est complétée par la demande de répondre systématiquement aux interrogations des personnes résidant dans des zones couvertes par Street View, avec la possibilité, pour celles-ci, d’exiger la suppression des photos où elles apparaissent.

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