Crimes del' ancien président Tchadien Hissène Habré : ONG HRW prépare un rapport accablant sur le rôle de la France Hissène Habré a été condamné lundi 30 mai à la prison à vie pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre, tortures et viols commis durant sa présidence du Tchad de juin 1982 à décembre 1990. Durant toute cette période, l’ex-dictateur a bénéficié d’une aideimportante de la France. Que savait Paris de ses crimes ?

Lorsque Hissène Habré prend le pouvoir à N’Djamena, en juin 1982, avec la participation des millitaires Libyens, àl' époque du feu, Mohamar Kadhafi, les autorités de Paris connaît déjà la violence de ce chef de guerre. En 1974, ses rebelles du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat) ont kidnappé trois Européens, dont l’anthropologue française Françoise Claustre. L’année suivante, l’officier français venu négociersa libération, Pierre Galopin,« est exécuté par les forces d’Habré »,rappelle le rapport de HRW.
Après 1982, la France déploie par étapes au Tchad une aide militaire d’envergure : opérations « Manta » (1983-1984) puis « Epervier » (1986-2014). Lorsque, le 30 juillet 1983, les Forces armées nationales du Tchad (FANT) reprennent Abéché et Faya Largeau dans le nord du pays, les officiers français ne sont pas loin. Des centaines de combattants de Goukouni Oueddeï (soutenu par la Libyede Mouammar Kadhafi) seront« victimes d’exactions, de mauvais traitements, de tortures et d’exécutions sommaires ».
L’ arméefrançaise pouvait-elle l’ignorer ? Le 11 juillet 1983,« 32 mercenaires, sélectionnés par René Dulac(…), ont décollé de l’aéroport du Bourget »pour N’Djamena puis Faya Largeau. Qui dirige « Saxo », cette opération clandestine ?« Dulac a reçu ses ordres lors d’une réunion de crise organisée par la DGSE [Direction générale de la sécurité extérieure] dans les locaux du ministère de la coopération affirme le rapport de HRW. Le projet est suivi de près par Jean-François Dubos directeur adjoint du cabinet du ministre de la défense Charles Hernu (1981-1984), ainsi que par Guy Penne et François de Grossouvre conseillers de Mitterrand. »
Une DGSE « très proche » de la DDS tchadienne
En janvier 1983, Hissène Habré instaure par décret la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS). Cet organisme s’est rendu responsable d’innombrables exactions pendant toute la durée du régime Habré, écrit HRW en 2013 dans son rapport intitulé « La Plaine des morts ». Dès la création de la DDS, Claude Faure, ancien agent de la DGSE, écrit :« Au Tchad, une équipe du service action de la DGSE est détachée auprès de la DDS tchadienne. Les membres de cette équipe ont pour mission de conseiller et de formerles personnels de ce service. »
Paris pouvait-il ignorerles pratiques de torture de la DDS ? A son procèsà N’Djaména, en 2014, Saleh Younous, premier directeur de la DDS (1983-1987), a déclaré :« Les renseignements venaient de l’extérieur et de l’intérieur. Nous avions une relation très étroite avec la DGSE, la CIA, le Mossad, les services soudanais, etc.(…)La DGSE était très proche de nous. » Difficile à déterminersans l’accès aux archives officielles, que les autorités françaises ont refusé à Human Rights Watch (HRW). « Que cherche à cacherl’Etat français ? »,demande l’ONG, qui enquêtedepuis 1999 sur le système de répression d’Hissène Habré et a préparé deux rapports en voie de finalisation : un premier sur les relations entre le Tchadet les Etats-Unis et un second sur la France, rédigé par Henri Thulliez.
Le Monde a eu accès à une version provisoire de ce rapport, qui s’appuie sur de nombreux témoignages et documents. Il montre que Paris a soutenu le régime Habré« au-delà de ce qui était connu »et« devait, au minimum, êtreinformé des plus graves exactions commises »pendant plus de huit ans par les FANT, les Forces armées nationales tchadiennes, et par la DDS, sa police politique. Pour la plus grande joie des parties civiles, qui se sautaient dans les bras à l’annonce du verdict, les juges ne lui auront trouvé aucune circonstance atténuante – mis à part« son âge[73 ans], d’avoir aidé des proches et[d’]être un bon père », a tout juste concédé le président du tribunal. Autant direpeu de choses au regard de la gravité des charges qui pesaient sur Hissène Habré devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) : crimes contre l’humanité, crimes de guerre, tortures et viols commis durant sa présidence du Tchad, de juin 1982 à décembre 1990. Lundi 30 mai, il a été condamné à la prison à perpétuité. Une peine exemplaire à l’issue d’un procèshistorique, lancé au mois de juillet 2015, mais qui pourrait bien êtredifficile à reproduire.
Pour l’heure, les victimes et leurs avocats se congratulaient. « J’attends ce jour depuis que je suis sorti de prison il y a plus de vingt-cinq ans », sanglotait Souleymane Guengueng survivant des geôles du régime. « Aujourd’hui, je me sens dix fois plus grand qu’Hissène Habré » ajoutait-il à la sortie de la salle d’audience. Des dépositions à la barre de 96 témoins et experts, des 56 pièces à conviction et des 2 500 procès-verbaux d’auditions, les juges ont conclu que l’ancien président« concentrait tous les pouvoirs », et principalement sa police politique, la DDS, exécutrice des basses œuvres.
« Il dirigeait une entreprise criminelle commune qui avait érigé en modede gouvernancela pratique massive et systématique de la torture, les enlèvements, les détentions inhumaines et les viols »

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